glimpse of heaven

Anton ce n'est pas bien compliqué, c'est un gars sensible. Dans tous les sens du termes, autant que ce soit pour apprécier les subtilités d’une oeuvre d’art, autant que ce soit au niveau émotionnel, ça ne lui en prend pas beaucoup pour l’affecter. Une simple remarque peut lui faire quelque chose, bien qu’il agit rarement en conséquence. Au contraire, Anton arbore souvent un air assez neutre, parfois blasé. Il y laisse rarement transparaître ses sentiments mais ils sont bien présents. Cependant, il a moins de difficulté à les montrer de d’autres façons. Ça commence par un soupir avant qu’il lâche ce qu’il lui tourne dans la tête. Et bien qu’il cultive cet air mélancolique autour de sa personne, il est très facile de le toucher de manière positive. Faites lui un compliment et ça occupera ses pensées non stop jusqu’au lendemain. Il n’a pas le sourire particulièrement difficile, cependant vous risquez plutôt de discerner la joie dans son regard, qui s’allume à la moindre joie. Anton est quelqu’un de très brut dans son côté émotionnel, dans le sens où le positif et le négatif se tranchent très bien. Il y a très peu de place pour la nuance, et il bascule d'un côté à l'autre assez facilement.

Sa sensibilité s’accompagne aussi d’une certaine naïveté. Pas dans le sens où il ferait confiance à n’importe qui les yeux fermés, mais plutôt qu’il semble conserver une sorte d’espoir pour les autres et pour le futur, sous ses airs renfrognés il est en vérité plutôt idéaliste, mais ne pourrait cependant pas être qualifié d’optimiste. Pas rancunier pour deux sous, il croit fortement au pardon et à l’amélioration de chacun. C’est aussi le genre de personne qui serait incapable de sélectionner les options de dialogues moqueuses ou méchantes en jouant à un jeu vidéo.

Bien qu’Anton ne soit pas particulièrement bavard, il n’est pas complètement timide non plus, c’est peut-être plutôt qu’il conscience du pouvoir des mots, peut-être trop, et il préfère les rationner. Il a toujours eu l’habitude de se faire discret, et il n’y a que sur scène où ça l’intéresse d’attirer l’attention. Car en effet, lorsqu’il danse, Anton se laisse beaucoup plus aller. Les feelings qu’il a l’habitude de tasser dans un coin de son âme se retrouvent exprimés et purgés lorsqu’il entre dans le studio. Alors qu’il tente habituellement de passer inaperçu, une fois en demi-pointes il voudrait que tous les regards se braquent sur lui. Puis une fois de retour dans la rue ou dans les couloirs de l’école, il redevient l’habituel Anton réservé et simple.

L’attitude générale d’Anton pourrait laisser sous-entendre un certain manque de confiance en soi, cependant bien que ce fut longtemps le cas, une partie de ce manque de confiance en soi a progressivement été remplacée par une sorte de nonchalance. Au lieu de tenter de restaurer sa confiance en lui-même, il a plutôt décidé de se dissocier du concept, faisant de lui quelqu’un qui se préoccupe peu de son standing en général, mais qui cherche tout de même l’approbation d’autrui.

Anton c’est généralement quelqu’un qui a des goûts simples (lorsque ça ne concerne pas la danse ou les arts visuels) et n’est pas particulièrement difficile à plaire ou à impressionner. D’un côté c’est le genre qui aime chercher la beauté dans l’ordinaire, et il croit que parfois elle se trouve dans la simplicité. Et puis parfois, c’est juste qu’il préfère ne pas se casser la tête.

C'était une autre journée qui s'achevait comme les autres. Dans le cas d'Anton, avec une séance de pratique. Il s'assoit sur un banc du vestiaire et retire ses demi-pointes, révélant ses pieds couverts de pansements, d'ampoules et de rouge contrastant avec sa peau claire. Il finit rapidement de se déshabiller avant de sauter sous la douche. Il laisse l'eau chaude ruisseler sur son corps, ce corps aux proportions atypiques mais tellement recherchées dans le milieu du ballet. Il est élancé sans être trop grand, et ses muscles, pourtant bien nécessaires à un sportif comme lui, sont finement dissimulés, jamais trop apparents, lui permettant de garder une carrure toute en longueur et en grâce. Toujours une question de balance, de masquer les années de travail acharné pour faire croire qu'en fait il danse sans efforts.

Il termine de se doucher avant de se sécher et d'enfiler un t-shirt puis un sweat à capuche comme il les aime. Il complète le tout avec un chino et une paire d'adidas superstars. De manière générale, Anton n'aimait pas trop se casser la tête côté vêtements. Bien qu'il ait un soucis de paraître présentable, il priorisera toujours le confort. Sa garde-robe comprend donc majoritairement des t-shirts en tout genre, des sweats, et une panoplie de jeans et de joggings. Et sur les chaussures particulièrement, il ne fait aucun compromis. Ça lui prend du confort absolu, il souffre déjà assez dans le studio de danse de ce côté là.

Il s'arrête devant le miroir, peigne à la main. Ses cheveux blond foncé retombent devant son visage, ils plutôt longs, leur manquant plus que quelques centimètres pour atteindre les épaules, mais surtout assez fins, en faisant un cauchemar à coiffer. Même s'il a beau prendre la peine de les attacher lorsqu'il pratique, il se retrouve toujours obligé de les démêler, étant extrêmement sujets à faire des noeuds. Autrement, Anton est loin d'avoir une pilosité abondante, au contraire il est pratiquement imberbe, et au final ça ne le dérange pas plus que ça, ça fait quelque chose en moins à s'occuper.

À travers les mèches de blond son regard se braque sur le miroir. Des yeux d'un vert terne qui semble presque gris dans l'éclairage fatigué des néons qui brillent au plafond, yeux encadrés de longs cils et de cernes qu'il passe beaucoup trop de temps à dissimuler à coup de concealer. Il dégage rapidement son front, ramenant ses cheveux derrière ses oreilles et révélant du même coup son visage. Anton se passe les mains sur les joues, comme pour les soustraire à sa vision. Ses joues et son menton couverts de rouge, des cicatrices qui lui rappellent l'époque où sa peau était couverte de boutons, l'époque où il peinait à se regarder dans le miroir et où il avait dépensé des fortunes en produits pour la peau en tout genre, sans succès. Et maintenant, bien que les boutons aient disparu et son titre de boutonneux avec, reste que les traces foncées sur sa peau rugueuse continuent à être une source de complexe pour Anton. Son regard s'attarde encore une demi-seconde sur son reflet puis il secoue la tête. Il finit de sécher ses cheveux puis les noue rapidement en une petite queue de cheval avant de ramasser ses affaires et de sortir pour finalement rentrer chez lui.

Son téléphone vibrait dans sa poche en même temps que se faisaient entendre les quelques notes de la sonnerie par défaut. Appels manqués (11) se changea pour Appels manqués (12).

- Tu sais Dima, je devrais peut-être répondre.

Anton se redressa et sortit le téléphone de la poche de son sweat trop grand pour lui, s’apprêtant à former le numéro de sa mère afin de la rappeler, mais il n’eut pas le temps de faire quoique ce soit avant que Dmitri lui prenne l'objet des mains.

- Elle peut attendre encore un peu.
- Je vais juste l’appeler, c’est tout.
- Et tu sais ce qu’il va se passer. Elle va te crier dessus, te demander de rentrer immédiatement pour ensuite te crier encore plus dessus. Il fait pas encore noir, tu as encore le temps.

Anton soupira et s’allongea à nouveau, posant la tête sur les cuisses de Dmitri. Ce dernier passa ses doigts dans les cheveux de son copain tandis que le blond chercha la main libre de l’autre afin d’y enfouir la sienne. Les débuts de soirées passés sur le toit de l’immeuble où vivait Dima était son seul moment de répit dans la journée.


Anton marchait lentement, son sac de sport sur l’épaule. S’il y avait bien un avantage à l’exécrable personnalité que possédait sa mère, c’est bien que son intolérance s’étalait jusqu’à la technologie. Elle pouvait supporter que son fils possède un implant, comme c’était la norme partout dans le monde, mais là se trouvait sa limite. Ça et un vieux modèle de téléphone. Et chaque jour, Anton se disait qu’il était ô combien heureux qu’elle exècre assez les implants pour ne jamais vouloir optimiser leur usage et que par le fait même elle n'ait jamais usé de Cherish. Comme ça au moins, il pouvait l’éviter, inventer des excuses pour avoir manqué ses appels incessants.

- C’est de ta faute s’il est parti.

Anton n’était pas bien grand, encore un enfant, lorsqu’il entendit ces mots sortir de la bouche de sa mère pour la première fois. Et ce ne serait pas la dernière. Au début, ça l’avait frappé comme ça, d’un coup. Un choc. Il s’était empli d’une culpabilité sans précédent. Il avait passé le début de son existence comme ça (un jour il se dit qu’il ne pouvait pas en vouloir à son père d’avoir quitté une femme aussi vile et malsaine qu’elle. Alors il arrêta de s’en vouloir à lui-même aussi). Sa mère alternait entre ne rien vouloir savoir de son fils et puis vouloir l’utiliser comme un outil, à l’encourager dans tout ce qu’il entreprenait pour qu’elle puisse montrer au monde entier qu’elle n’avait besoin de rien ni personne, que sans elle son fils ne serait rien. Anton ne se rendait compte de rien au début. Il se rappelait juste avoir eu un grand intérêt pour le ballet dès son plus jeune âge. Sa mère y vit sa chance, alors elle accepta de l’inscrire à des leçons.


Rythme infernal. À peine revenait-il d’une longue journée meublée par l’école et la danse qu’arrivé à la maison elle décidait de lui improviser des leçons supplémentaires privées, qui ne relevaient plus vraiment de la danse mais plutôt à des exercices physiques en tout genre particulièrement exigeants. Il se devait d’être le meilleur, et elle n’était pas prête à faire de compromis. Sauf qu’il était surtout épuisé. Ça commençait à affecter ses études, et même son niveau de danse, paradoxalement. Alors qu’il s’apprêtait à débuter le collège, il décida de mettre fin à ça. Il croyait être devenu imperméable à ses cris, et décidait qu’il préférait encore avoir à gérer ça que de se dégoûter de sa passion. Les cris devinrent des crises, mais il ne regrettait rien.


Anton décida de se jeter corps et âme dans l’art. Se remplir la tête avec des pointes, des jetés et des fouettés, s’isoler des paroles incohérentes de sa mère en s’enfonçant des écouteurs dans les oreilles pour se perdre dans la musique de Tchaïkovski ou Stravinski. Anton aimait passionnément le ballet, mais il eut un sérieux instant de doute. C’était ce que sa mère attendait de lui, non ? Qu’il danse au théâtre Bolchoï un jour -elle savait qu’il en rêvait-, qu’il se fasse un nom et qu’elle puisse s’attribuer son succès ? C’était une vision d’horreur.

Mais après réflexion, il décida qu’il ne pouvait pas laisser tomber, qu’il ne pouvait pas abandonner le ballet. Alors il se dit qu’il n’arrêterait pas. Il ferait tout pour atteindre ses objectifs. Et si par un quelconque miracle il arrivait à se hisser parmi les grands noms, alors il nierait simplement l’existence de sa mère. Il rejetterait son existence pour complètement s’en émanciper.


Sa vie sociale allait tranquille. Anton était trop sensible pour son propre bien, et avait le visage attaqué par une acné particulièrement agressive, mais tout compte fait, ça aurait pu être pire. Il devait avoir de la chance que ses camarades de classe semblaient entretenir un drôle de sentiment à l’égard des artistes. Il ne l’aurait pas appelé du respect ou une fascination, mais dans tous les cas ça lui permettait d’être assez tranquille. Les filles ne semblaient pas lui porter particulièrement d’intérêt, probablement à cause de son visage, mais peut-être aussi de sa silhouette trop mince à leur goût. De toute manière, Anton lui n’avait d’yeux que pour Dmitri, un de ses camarades de danse. L’incarnation de la beauté à ses yeux.


Lui et Dmitri avaient décidé que ça s’arrêtait là. Anton partait pour la Finlande et Dima pour la France. Et ils se connaissaient assez bien pour savoir qu’une relation à longue distance serait impossible pour eux. Ils avaient trop besoin de la proximité physique, de la chaleur humaine de l’autre. Alors d’un commun accord ils se sont dit que ça finissait comme ça. Certains diront que c’est du gâchis, mais ils préféraient continuer chacun de leur côté en ne gardant que les bons souvenirs, plutôt que de se faire mal en voyant leur relation se détériorer. Mais tout ça n’avait pas empêché Anton de pleurer à chaudes larmes alors qu’il étreignait Dmitri une dernière fois à l’aéroport, avant que celui-ci ne s’envole loin de Moscou.